Ce dernier aurait crée une ancienne version du kata « Annanku ». Doué d’une grande vélocité, on lui prête les exploits les plus fantastiques. Natif de la province de Itoman (d’où son nom), surnommé également « Kanagushiku », il aurait accompagné Higaonna en 1891 pour aller en Chine. Il était un métis « Aïnoko » issu d’une aventure entre un marin certainement hollandais ou portugais, et une femme d’Okinawa.
A cette époque, la plupart des relations commerciales avec l’Europe se faisaient avec la Hollande et le Portugal. Okinawa était un lieu de ravitaillement prisé. Ces marins occidentaux ne firent pas que satisfaire leur libido, dans les endroits chauds de Naha, mais nombre de ces derniers, essentiellement des hollandais se marièrent avec des indigènes.
Les pêcheurs de la province d’Itoman étaient fréquemment emportés en mer par les typhons de l’extrême sud de l’archipel. Les marins occidentaux qui venaient à Okinawa trouvaient ainsi beaucoup de femmes jeunes et veuves à cet endroit. Ces métissages créèrent un groupe social à part. Ces occidentaux ne voyaient pas d’inconvénients à intégrer des familles structurées, avec parfois plusieurs enfants.
Itoman Bunkichi avait des yeux ronds et clairs. Il avait des longues jambes, et de longs bras. Très agile, il avait la réputation d’être très capable dans l’art du « Taï sabaki » (esquive avec le corps).
Un jour, on raconte qu’un Samouraï du clan de Tokugawa déambulait et vit un homme beaucoup plus grand que lui.
Se considérant supérieur quant à sa classe, il ne supporta pas de voir cet individu plus grand en taille. Il se jeta sur Bunkichi afin de le saisir. Ce dernier se retira de la trajectoire, en faisant mine de rien, et continua à discuter avec son interlocuteur. Le Samouraï en perdit l’équilibre, et chargea sur lui en toute fureur, et roula dans la poussière.
Il s’adressa à lui en lui demandant : « Hé, aïnoko ! Veux-tu te battre comme un homme, ou t’esquiver comme un poisson. ». Lui tenir tête à mains nues relevait du suicide. Le Samouraï le poursuivit avec son sabre. Bunkichi courut vers le pont de la rivière, escalada la rampe et sauta. Le Samouraï se pencha au-dessus du vide pour l’apercevoir, lorsque soudainement il eut les pieds fauchés par Bunkichi qui s’était en fait raccroché sous le pont.
Le Samouraï tomba avec rudesse dans quelques centimètres d’eau. Ce dernier finit paralysé pour le restant de ses jours.
Un homme surnommé « Kame », car il ressemblait à une tortue avec ses membres courts, et un corps fort, essaya à plusieurs reprises de le défier. Il ne rencontra qu’une ombre devant lui, tant il était doué pour esquiver avec son corps, sans infliger aucune blessure à son adversaire.
Bunkichi se battit également contre un marin portugais géant et barbu, dénommé Pereira. Ce dernier avait des dettes de bar, et voulait que l’on continue à lui faire crédit, et cela sans régler son ardoise. Il s’en prit au vieux tavernier, lorsque Bunkichi lui vint en aide.
Pereira était connu entre Lisbonne et Macao pour avoir brisé de nombreux os lors de rixes, et avait terrassé un illustre champion de lutte à Singapour.
Le Portugais le prit d’abord pour l’un des siens, et lui demanda ce qu’il faisait avec des habits d’autochtone.
Après l’avoir traité de bâtard, Pereira l’attaqua et Bunkichi dans une esquive du corps l’assomma d’un seul coup de coude. Le capitaine du navire portugais n’en croyait pas ses yeux, et l’équipage fut médusé. A son réveil, Pereira demanda au capitaine ce qu’il s’était passé.
Bunkichi ne trouva personne assez digne de confiance, pour lui transmettre son savoir martial. Il y avait bien sa petite fille, mais il ne lui enseigna pas, car elle était une femme.
Les « à prioris » raciaux à l’encontre de ce « mal né », et la 2ème Guerre mondiale ont définitivement occulté ce personnage de l’Histoire officielle du karaté, c’est pour cette raison que je lui rend hommage, par ces quelques lignes supplémentaires. On ne sait pratiquement rien sur lui, bien qu’il soit cité comme un pratiquant exceptionnel. Ces histoires ont été transmises oralement. On ne sait pas quelle est la part d’exagération, ou de vérité. Cependant, nombre d’habitants d’Okinawa exilés au Brésil (25’208 en 1908) et à Hawaï après la Seconde Guerre Mondiale, se souviennent de lui, au travers de leur mémoire collective. Derechef, il n’y a aucun doute que ce personnage a réellement existé.
Édité le 03.04.2013